• Pluie

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     Pluie

    Ce nuage est bien noir : - sur le ciel il se roule, 
    Comme sur les galets de la côte une houle.
    L'ouragan l'éperonne, il s'avance à grands pas.
    - A le voir ainsi fait, on dirait, n'est-ce pas ?
    Un beau cheval arabe, à la crinière brune,
    Qui court et fait voler les sables de la dune.
    Je crois qu'il va pleuvoir : - la bise ouvre ses flancs,
    Et par la déchirure il sort des éclairs blancs.
    Rentrons. - Au bord des toits la frêle girouette
    D'une minute à l'autre en grinçant pirouette,
    Le martinet, sentant l'orage, près du sol
    Afin de l'
     éviter rabat son léger vol ;    
    - Des arbres du jardin les cimes tremblent toutes. 
    La pluie ! - Oh ! voyez donc comme les larges gouttes
    Glissent de feuille en feuille et passent à travers
    La tonnelle fleurie et les frais arceaux verts !
    Des marches du perron en longues cascatelles,
    Voyez comme l'eau tombe, et de blanches dentelles
    Borde les frontons gris ! - Dans les chemins sablés,
    Les ruisseaux en torrents subitement gonflés

    Avec leurs flots boueux mêlés de coquillages
    Entraînent sans pitié les fleurs et les feuillages ;
    Tout est perdu : - Jasmins aux pétales nacrés,
    Belles-de-nuit fuyant l'a
     stre aux rayons dorés, 
    Volubilis chargés de cloches et de vrilles,
    Roses de tous pays et de toutes famines,
    Douces filles de Juin, frais et riant trésor !
    La mouche que l'orage arrête en son essor,
    Le faucheux aux longs pieds et la fourmi se noient
    Dans cet autre océan dont les vagues tournoient.
    - Que faire de soi-même et du temps, quand il pleut
    Comme pour un nouveau déluge, et qu'on ne peut
    Aller voir ses amis et qu'il faut qu'on demeure ?
    Les uns prennent un livre en main afin que l'heure
     
    Hâte son pas boiteux, et dans l'éternité
    Plonge sans peser trop sur leur oisiveté ;
     
    Les autres gravement font de la politique,
    Sur l'ouvrage du jour exercent leur critique ;
    Ceux-ci causent entre eux de chiens et de chevaux,
    De femmes à la mode et d'opéras nouveaux ;
    Ceux-là du coin de l'oeil se mirent dans la glace,
    Débitent des fadeurs, des bons mots à la glace,
    Ou, du binocle armés, regardent un tableau.
    - Moi, j'écoute le son de l'eau tombant dans l'eau.
     

    Théophile GAUTIER 

     pluie220

     

     

     

     

     

     

     


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